L'action multilatérale et les changements de politique stratégique sont essentiels pour aider les pays à parvenir à un développement durable et à faire face aux risques et aux opportunités d'une nouvelle ère de croissance.
La croissance faible, l'endettement élevé, la faiblesse des investissements et la fragmentation du commerce mondial exacerbent les fractures économiques entre pays industrialisés et pays en développement dans un contexte d’évolution technologique accélérée. Ces changements exigent une nouvelle approche pour parvenir à une croissance durable et inclusive.
La croissance du commerce Sud-Sud, la transition « énergétique » et la demande en minéraux essentiels peuvent créer des opportunités de croissance pour les pays en développement, mais nécessiteront de nouvelles politiques de développement et un engagement multilatéral pour faire face aux défis de la dette, de l'environnement, du commerce et de l'investissement.
La CNUCED a publié aujourd'hui son Rapport sur le commerce et le développement 2024 : repenser le développement à l'ère du mécontentement. Ce rapport invite à repenser fondamentalement les stratégies de développement mondial, alors qu’une croissance faible, un endettement élevé et une faiblesse de l'investissement et du commerce creusent le fossé entre les pays industrialisés et les pays en développement.
Le rapport souligne que malgré les opportunités offertes aux pays en développement par la croissance du commerce Sud-Sud et la demande pour les minéraux qui stimulent la transition énergétique, ces pays sont confrontés à des défis de plus en plus importants pour naviguer dans une économie mondiale atone. Une action multilatérale et une architecture financière internationale révisée sont essentielles pour relever ces défis et soutenir une croissance durable et inclusive.
Nouvelle normalité pour l’économie mondiale : une croissance atone
Le rapport de la CNUCED souligne l'émergence d'une nouvelle normalité de croissance économique mondiale faible, avec des taux projetés de seulement 2,7 % pour 2024 et 2025, en baisse par rapport à une moyenne annuelle de 3 % entre 2001 et 2019. Il s'agit d'un contraste saisissant avec la croissance moyenne de 4,4 % observée dans les années précédant la crise financière mondiale.
Pour les économies en développement, ce ralentissement est plus marqué. Alors qu'elles ont connu une croissance impressionnante de 6,6 % entre 2003 et 2013, leur croissance moyenne est tombée à seulement 4,1 % entre 2014 et 2024. Si l'on exclut la Chine, le tableau est encore plus sombre : la croissance dans les pays du Sud n'a été que de 2,8 % en moyenne au cours de la dernière décennie. Dans le même temps, les pays en développement ont vu le poids de leur dette gonfler de 70 % entre 2010 et 2023, ce qui expose nombre d'entre eux à des mesures d'austérité qui pourraient compromettre les avancées vers un développement inclusif.
Inflation et mécontentement
Le rapport souligne comment l'inflation post-pandémie, due aux perturbations sur les chaînes d'approvisionnement et à la concentration du pouvoir de marché dans des secteurs clés tels que l'agriculture et l'énergie, a érodé le pouvoir d'achat dans les pays en développement. Les revenus des ménages ont chuté de 8 % depuis 2020 en raison de l'inflation, ce qui a entraîné un mécontentement social généralisé à travers le monde.
La CNUCED met en garde contre le fait de compter uniquement sur le resserrement monétaire pour lutter contre l'inflation, appelant plutôt à une combinaison de politiques incluant des stratégies fiscales et réglementaires. « L'inflation a frappé le plus durement les économies en développement et a érodé les revenus des ménages, réduisant leur pouvoir d'achat. Cette situation a alimenté le mécontentement social. La solution passe désormais par une action coordonnée pour stabiliser les prix, élargir l'espace budgétaire, freiner les pratiques anticoncurrentielles et promouvoir une croissance inclusive. »
Evolution de la structure du commerce mondial et potentiel du commerce Sud-Sud
Malgré les défis, la CNUCED considère l'augmentation du commerce Sud-Sud et la transition énergétique comme des opportunités majeures pour les pays en développement. Le commerce Sud-Sud, c'est-à-dire le commerce entre pays en développement, a plus que doublé entre 2007 et 2023, passant de 2 300 milliards de dollars en 2007 à 5 600 milliards de dollars en 2023, offrant aux pays en développement la possibilité de réduire leur dépendance à l'égard de leurs partenaires commerciaux traditionnels et de renforcer l'intégration économique régionale.
En tirant parti des accords régionaux de commerce et d'intégration, tels que l'Accord de libre-échange continental africain et l’accord de partenariat économique de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, et en mettant en œuvre des politiques industrielles stratégiques, les pays en développement peuvent mieux gérer les risques liés à la fragmentation du commerce et construire des économies plus résistantes.
La transition « énergétique » offre également de nouvelles possibilités de croissance, notamment grâce à l'augmentation de la demande en minéraux et matières premières essentiels, qui se trouvent principalement en Afrique et en Amérique latine et qui sont indispensables pour assurer la transition vers les véhicules électriques, les énergies renouvelables et l'économie numérique.
Le rapport met en évidence des changements significatifs dans la structure du commerce mondial. Alors que les marchandises représentent toujours plus de 75 % du commerce total, le commerce des services a connu une croissance rapide, augmentant de 5 % en termes réels depuis 2023. Les services représentent désormais 25 % des flux commerciaux mondiaux bruts, ce qui offre un nouveau potentiel de croissance aux pays en développement.
Toutefois, malgré cette croissance, les pays en développement représentent toujours moins de 30 % des recettes d'exportation des services, ce qui met en évidence le fossé persistant entre le Nord et le Sud. Dans le secteur en pleine expansion des services créatifs, évalué à 1 400 milliards de dollars en 2022, les pays développés dominent, avec 80 % des exportations, alors qu'ils représentent moins de 60 % de l'économie mondiale.
Financiarisation et volatilité des marchés des matières premières
La CNUCED met également en garde contre les risques posés par la financiarisation des marchés mondiaux de produits de base. Les économies dépendantes des produits de base sont d'autant plus vulnérables que les prix restent supérieurs de 20 % aux niveaux d'avant la pandémie, ce qui exacerbe les effets des chocs extérieurs. La CNUCED insiste sur la nécessité de mettre en place des stratégies de diversification et des politiques fiscales dans ces économies afin de garantir la résilience et les sources de financement à long terme.
Appel à repenser le développement économique
La CNUCED conclut que les pays en développement sont confrontés à des compromis politiques difficiles en raison des crises qui se chevauchent, notamment les prix élevés de l'énergie, la demande croissante de services de santé et de services sociaux et la montée du protectionnisme. Le Rapport sur le commerce et le développement 2024 exhorte les pays à suivre de nouvelles voies de développement axées sur la diversification économique, la résilience et la croissance inclusive, en s'éloignant des seuls modèles d'exportation traditionnels axés sur l'industrie manufacturière.
« La politique industrielle est de retour, de même que la nécessité d'une capacité étatique solide pour guider et coordonner ces efforts », a noté Rebeca Grynspan, Secrétaire générale d’ONU Commerce et Développement. « Nous devons repenser, réformer et relancer. Repenser les stratégies de développement mondial, réformer le système financier international et relancer l'engagement en faveur du multilatéralisme afin d'apporter un soutien réel aux pays en développement. Ceux-ci disposent des atouts du commerce Sud-Sud et de la transition « énergétique », mais affrontent les défis d'une croissance mondiale lente, de l'instabilité financière, d'une dette élevée, et de changements accélérés dans le commerce mondial ».
La CNUCED insiste sur la nécessité de repenser les politiques macroéconomiques et de développement, en soulignant l'urgence des réformes de la gouvernance mondiale dans l'ensemble de l'architecture mondiale de la dette, des finances et du commerce.
Une action multilatérale et une réorientation vers un financement mondial axé sur le développement sont essentielles pour aider les pays à gérer les risques et les opportunités d'une nouvelle ère de croissance afin de parvenir à un développement durable et de répondre au mécontentement.