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Pour une économie mondiale plus juste : le rôle de l'Amérique latine

07 janvier 2025

Par Rebeca Grynspan, Secrétaire générale d’ONU commerce et développement (CNUCED)

Aerial view of the Itaipu Hydroelectric Dam on the Parana River.
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© Shutterstock/Jose Luis Stephens | Le barrage hydroélectrique d’Itaipu sur le fleuve Paraná, à la frontière entre le Brésil et le Paraguay.

L'économie mondiale connaît une profonde transformation, dont le Sud est l'un des principaux moteurs.

Entre 2007 et 2023, le commerce entre pays en développement (commerce Sud-Sud) a plus que doublé, passant de 2 300 à 5 600 milliards de dollars. Au cours des cinq prochaines années, il devrait représenter près de 70 % de la croissance économique mondiale. Dans ce contexte, l'Amérique latine a la possibilité de mener une réforme du système économique mondial vers une économie plus juste et plus inclusive.

Ma première visite officielle de l'année me conduit au Mexique, dirigé par la première femme présidente, Claudia Sheinbaum, symbole de progrès vers l'égalité des sexes. Comme elle l'a déclaré avec force dans son discours d'investiture : « Je ne suis pas ici seule, nous sommes tous ici ensemble ». Le Mexique incarne les opportunités et les défis auxquels l’Amérique latine fait face, qu'il s'agisse de son rôle dans le commerce mondial ou de son vaste potentiel en matière de transition énergétique.

Un cadre commercial pour le développement

L'économie mondiale est confrontée à une croissance lente, à une dette élevée, à des investissements faibles et à des échanges de plus en plus marqués par la dynamique géoéconomique et le protectionnisme, ce qui menace d'accentuer la fragmentation du système mondial.

Pour prospérer, les économies émergentes et en développement ont besoin de flux commerciaux et d'investissements internationaux stables. Il est donc essentiel de défendre le multilatéralisme et le commerce fondé sur des règles convenues pour attirer les investissements et garantir cette stabilité.

Le« régionalisme ouvert », tel que défini par la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), relève ces défis grâce à des accords régionaux qui diversifient la production, favorisent une croissance inclusive et renforcent l'intégration dans le commerce mondial avec des biens à plus forte valeur ajoutée.

Le récent accord entre l'Union européenne et le Mercosur, qui réaffirme que le commerce est un moteur du développement durable dans un monde multipolaire, en est un exemple.

Avec seulement 5 à 6 % du commerce mondial, l'Amérique latine peut renforcer sa position dans les chaînes de valeur mondiales grâce à des politiques commerciales inclusives. Dans un Sud global qui représente déjà 40 % du commerce mondial des biens et 30 % du commerce des services, la région doit s’efforcer de réduire les inégalités et de maximiser son potentiel.

Des minéraux essentiels pour la transition énergétique

L'Amérique latine détient 50 à 60 % des réserves mondiales de lithium, ainsi que d’autres ressources essentielles comme le cuivre et le nickel, qui sont indispensables aux technologies propres et à la révolution numérique. L'exploitation de ces minerais essentiels doit se traduire par des avantages locaux - emplois, chaînes de valeur équitables et protection de l'environnement.

La COP30, le prochain sommet sur le climat qui se tiendra au Brésil, sera cruciale pour faire avancer une transition énergétique équitable qui réduise les inégalités et élargisse les opportunités. Au-delà de la technologie, le défi est social : il s'agit de veiller à ce que cette transition comble les écarts et profite à l'ensemble de la région.

Transformations mondiales : points clés pour l'Amérique latine

L'économie mondiale connaît un paradoxe : une croissance lente mais des transformations rapides. Ce déséquilibre crée des tensions et de nouvelles asymétries, mais aussi des opportunités significatives pour l'Amérique latine.

  • Un monde multipolaire : plus de 70 % de la croissance économique des cinq prochaines années proviendra du Sud, le commerce Sud-Sud représentant près de la moitié du total mondial. L'Amérique latine a la possibilité de diversifier et de renforcer sa participation mondiale.
  • La numérisation du commerce : les exportations de services augmentent trois fois plus vite que les exportations de marchandises. La région peut être à la pointe des plateformes numériques et de la connectivité en investissant massivement dans la technologie, les infrastructures et la formation de la main-d'œuvre.
  • La révolution énergétique : le marché des technologies propres sera équivalent à celui du pétrole au cours de la prochaine décennie. L'Amérique latine est déjà en tête, avec près de 30 % de son énergie provenant de sources renouvelables, dépassant ainsi la moyenne mondiale. L'hydroélectricité domine, produisant plus de 50 % de l'électricité au Brésil, en Colombie et au Paraguay. Des pays comme le Brésil, le Chili, le Mexique et l'Uruguay excellent dans l'énergie éolienne et solaire, tandis que l'énergie géothermique se développe dans des pays volcaniques comme le Costa Rica, le Salvador et le Mexique.

Unis face aux défis mondiaux

Le monde ne peut se permettre d'être divisé face à des défis tels que le changement climatique, la dette et les inégalités. L'Amérique latine a fait preuve de leadership, le Mexique et le Brésil participant au G20 et soutenant la réforme de l'architecture financière internationale.

En juillet, la conférence sur le financement du développement qui se tiendra à Séville, en Espagne, sera déterminante pour permettre aux pays en développement d'échapper au piège de la dette et de financer les objectifs de développement durable (ODD) et la croissance durable. L'Amérique latine doit être une voix forte dans ces discussions.

Réformer la gouvernance mondiale

À l'occasion de son 80e anniversaire, les Nations Unies ont l'opportunité de s'adapter à un monde multipolaire. Comme nous l'avons souvent dit, une gouvernance mondiale plus inclusive ne signifie pas remplacer le centre, mais l'élargir.

L'Amérique latine, qui participe activement aux forums des Nations Unies et au G20, continue d'occuper des positions clés au sein de l’ONU et peut servir de pont entre les puissances traditionnelles et émergentes. La réforme de la gouvernance mondiale n'est pas seulement une question de justice. C'est une nécessité pour assurer la stabilité et la durabilité futures.

Vers un nouveau modèle de développement

Les changements en cours dans le monde exigent de repenser le développement. Il est essentiel de diversifier les économies et de trouver un équilibre entre les besoins immédiats et les objectifs à long terme.

Des politiques proactives de diversification de la production, ainsi que des investissements dans le capital humain et les infrastructures, sont essentiels au développement durable.

Mais le système international doit également être réformé pour devenir un moteur du développement durable. À la CNUCED, nous veillons à ce que les avantages du commerce, de l'investissement, de la technologie et du financement deviennent les fondements d'un développement inclusif et d'un monde plus juste.

Vers un avenir de leadership

L'Amérique latine se trouve à un carrefour historique. Confrontée à des défis mondiaux, elle a la possibilité de conduire le changement mondial vers une économie plus juste et plus inclusive.

La défense d'un commerce fondé sur des règles, la gestion responsable des ressources et la promotion de la coopération multilatérale sont des étapes essentielles.

L'année 2025 présente des défis et des opportunités uniques. Il est temps pour l'Amérique latine de démontrer que le Sud ne se contente pas de participer au changement. Elle en est le moteur.


Cet op-ed a été publié le 6 janvier 2025 dans les médias affiliés au Grupo Diarios de América, comme El Universal au Méxique, O Globo au Brézil, et El Nacional au Venezuela.