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De la reprise a la resilience : faire face tous ensemble ou tomber separement les uns apres les autres ?

15 septembre 2021

En 2021, l'économie mondiale rebondira avec une croissance de 5,3 %, la plus rapide depuis près de 50 ans. Ce rebond est toutefois très inégal selon les régions, les secteurs et les tranches de revenu, selon Le Rapport sur le commerce et le développement 2021 de la CNUCED.

© Poco_bw / africaphotobank.com

 

  • Le ralentissement de la croissance l'année prochaine pourrait s'avérer plus marqué que prévu si les responsables politiques perdent leur sang-froid ou souscrivent aux appels malavisés visant à la déréglementation et à l'austérité.
  • Les responsables politiques des économies avancées ne se sont pas encore rendu compte de l'ampleur du choc subi par les pays en développement, ni de sa persistance. De nombreux pays du Sud ont été frappés beaucoup plus durement que lors de la crise financière mondiale, tandis que le poids de leur dette, désormais plus lourd, réduit leur marge de manœuvre en matière de politique budgétaire.
  • La réponse à la pandémie dans les pays développés a déclenché une résurgence de l’État et a suspendu les contraintes budgétaires. Toutefois, les règles et pratiques internationales confinent les pays en développement dans des réponses prépandémiques et des états semi-permanents de stress économique.


Le Rapport sur le commerce et le développement 2021 de la CNUCED, publié aujourd'hui, indique que l'économie mondiale rebondira cette année grâce à la poursuite des interventions politiques radicales commencées en 2020 ainsi qu’au déploiement réussi (bien qu'encore incomplet) des campagnes de vaccination dans les économies avancées. La croissance mondiale devrait atteindre 5,3 % en 2021, son taux le plus élevé depuis près de cinq décennies.

La reprise est toutefois inégale selon les régions, les franges de revenu et les secteurs. Dans les économies avancées, la classe des rentiers a vu sa richesse exploser, tandis que les bas salaires sont en difficulté.
 

Figure 1 : Dépenses primaires supplémentaires en 2020 par rapport aux ratios de la dette héritée dans les économies en développement et développées

Figure 1

Source: Calculs du secrétariat de la CNUCED, basés sur la base de données du FMI.
 

Les contraintes en matière d'espace budgétaire (figure 1), le manque d'autonomie monétaire et l'accès restreint aux vaccins freinent de nombreuses économies en développement, creusant le fossé avec les économies avancées et menaçant d'ouvrir la voie à une nouvelle décennie perdue.

"Ces écarts croissants, tant au niveau national qu'international, nous rappellent que les conditions sous-jacentes, si elles restent en place, feront de la résilience et de la croissance des luxes dont bénéficient de moins en moins de privilégiés", a déclaré Rebeca Grynspan, Secrétaire générale de la CNUCED.

"Sans des politiques plus audacieuses qui reflètent un multilatéralisme revigoré, la reprise post-pandémique manquera d'équité et ne parviendra pas à relever les défis de notre époque."

Les propositions de la CNUCED, décrites plus en détail ci-dessous, sont tirées des enseignements de la pandémie et comprennent un allègement concerté de la dette, voire son annulation dans certains cas, une réévaluation du rôle de la politique budgétaire dans l'économie mondiale, une plus grande coordination des politiques entre les économies d'importance systémique et un soutien audacieux aux pays en développement pour le déploiement des vaccins.

En 2022, la CNUCED prévoit un ralentissement de la croissance mondiale à 3,6 %, laissant le revenu mondial encore 3,7 % en dessous de ce qu'il aurait été s’il avait continué sur son trend d’avant la pandémie (figure 2) ; ceci représente une perte de revenu cumulée attendue d'environ 13 000 milliards[1] de dollars en 2020-22.  Une politique timide ou, pire encore, un retour en arrière, pourrait faire chuter davantage la croissance.

 
Niveau de la production mondiale, 2016

(Indice, 2016 = 100)

Figure 2

Source: voir le Rapport sur le Commerce et le Développement 2021.

 

Dans le monde entier, mais en particulier dans les régions en développement, les dégâts de la crise de la COVID-19 ont été plus importants que ceux de la crise financière mondiale (CFM), notamment en Afrique et en Asie du Sud (figure 3).

Même en l'absence de revers importants, la production mondiale ne reprendra sa tendance de 2016-19 qu'en 2030.  Ce fait cache un problème plus profond, à savoir que la tendance de la croissance des revenus avant la crise était elle-même insatisfaisante ; la croissance mondiale annuelle moyenne au cours de la décennie qui a suivi la crise financière mondiale a été la plus lente depuis 1945.

 

Figure 3: L'impact économique de la ‘CFM 2009-10’ par rapport à la ‘Covid-19 en 2020

Figure 3

 

Source: Calculs du secrétariat de la CNUCED, basés sur des données officielles et des estimations générées par le Modèle de politique globale des Nations Unies.
Note: a perte estimée de la crise financière mondiale correspond à la perte de revenu cumulée de 2009 et 2010, par rapport à la tendance de 2006 à 2008 ; et la perte estimée de Covid-19 correspond à la perte de revenu cumulée de 2020 et 2021, par rapport à la tendance de 2017 à 2019. Elle est représentée ici en milliards en dollars.


Les hausses temporaires de prix causées par des pressions non synchronisées du côté de l'offre et de la demande pourraient devenir des prétextes pour inverser les politiques requises pour soutenir la reprise dans les économies avancées. Malgré une décennie d'injections monétaires massives de la part des principales banques centrales, les objectifs d'inflation n'ont pas été atteints et, même avec la forte reprise actuelle dans les économies avancées, il n'y a aucun signe de hausse durable des prix.

Après des décennies de baisse des salaires, les salaires réels dans les pays avancés doivent augmenter bien au-delà de la productivité pendant longtemps avant qu'un meilleur équilibre entre les salaires et les bénéfices ne soit à nouveau atteint. Cela dit, la CNUCED estime que la hausse des prix des denrées alimentaires pourrait constituer une menace sérieuse pour les populations vulnérables du Sud, déjà fragilisées financièrement par la crise sanitaire.

Au niveau mondial, le commerce international de biens et de services s'est redressé, après qu’il ait chuté de 5,6 % au niveau mondial en 2020. Le ralentissement s'est avéré moins fort que prévu, étant donné que les flux de marchandises mensuels ont rebondi presque aussi fortement dans la dernière partie de 2020 qu'ils avaient chuté auparavant.

Les projections modélisées du Rapport prévoient une croissance réelle du commerce mondial des biens et services de 9,5 % en 2021. Néanmoins, la reprise a été extrêmement inégale, et des cicatrices continueront de peser sur les performances commerciales dans les années à venir.

En 2021, la trajectoire positive des prix des produits de base depuis le creux observé au deuxième trimestre de 2020 s'est poursuivie. L'indice agrégé des produits de base a enregistré une hausse de 25 % entre décembre 2020 et mai 2021. Cette dernière est principalement due au prix des carburants, qui a bondi de 35 %, tandis que celui des minéraux, minerais et métaux a enregistré une hausse de 13 %.

"La pandémie a créé une occasion de repenser les principes fondamentaux de la gouvernance économique internationale, une chance qui a été manquée après la crise financière mondiale", a déclaré Richard Kozul-Wright, Directeur de la Division des Stratégies de Mondialisation et de Développement de la CNUCED.

"En moins d'un an, des initiatives politiques américaines de grande envergure ont commencé à produire des changements concrets dans le cas des dépenses d'infrastructure et de l'élargissement de la protection sociale, financés par une fiscalité plus progressive. La prochaine étape logique consiste à transposer cette approche au niveau multilatéral."

Sur le plan international, le soutien des États-Unis à la nouvelle répartition des droits de tirage spéciaux (DTS), l'imposition minimale des entreprises au niveau mondial et la renonciation aux droits de propriété intellectuelle liés aux vaccins au sein de l'Organisation mondiale du commerce laissent entrevoir la possibilité d'un renouveau du multilatéralisme.

Mais il faudra un soutien beaucoup plus fort de la part des autres économies avancées et l'inclusion des voix des pays en développement si le monde veut s'attaquer à temps aux excès de l'hypermondialisation et à l'aggravation de la crise environnementale.

Le plus grand risque pour l'économie mondiale est qu'un rebond dans le Nord détourne l'attention des réformes nécessaires depuis longtemps, sans lesquelles les pays en développement resteront dans une position faible et vulnérable.

Le Rapport sur le commerce et le développement 2021 tire quatre grands enseignements de la pandémie

Dix-huit mois après le début de la pandémie de la COVID-19, le monde prend conscience du rôle indispensable de la coopération internationale pour assurer la résilience économique, un principe entériné à Bretton Woods lors de la fondation du système multilatéral. Mais la volonté de rééquilibrer l'économie mondiale et de réformer l'architecture économique internationale fait toujours défaut.

Tout d'abord, il serait prématuré de parler de résilience financière dans les pays en développement car, dans de nombreux cas, les flux d'investissement restent volatils et le poids de l'endettement intolérable. Bien que des crises de la dette souveraine en cascade aient été évitées en 2020, la viabilité de la dette extérieure des pays en développement s'est encore détériorée.

Le fait que des taux d'intérêt plus élevés puissent déclencher de fortes craintes quant aux actifs des pays en développement et des problèmes de balance des paiements montre à quel point la situation a peu changé depuis la crise financière mondiale. Cette situation fragile accentue les contraintes de solvabilité extérieure et de liquidité internationale.

Au cours des prochaines années, les pressions sur la viabilité de la dette extérieure persisteront car de nombreux pays en développement sont confrontés à un mur de remboursements de dette souveraine à venir sur les marchés obligataires internationaux.

Ensemble, les pays en développement (à l'exclusion de la Chine) doivent faire face à des remboursements totaux d'obligations souveraines déjà émises d'une valeur de 936 milliards de dollars jusqu'en 2030, année prévue pour la réalisation des Objectifs de développement durable.

La CNUCED appelle à un allégement concerté de la dette et, dans certains cas, à son annulation pure et simple, afin de réduire le surendettement des pays en développement et d'éviter une nouvelle décennie perdue pour le développement.

Deuxièmement, la pandémie a vu émerger un consensus sur la nécessité d'une intervention significative du secteur public, mais il y a moins d'accord sur ce que cela implique au-delà des mesures contracycliques. Le risque existe que les mesures budgétaires expansionnistes ne soient considérées que comme des outils de lutte contre l'incendie, alors qu'elles sont en fait des instruments essentiels du développement à long terme.

La CNUCED demande que l'espace politique créé par la pandémie soit mis à profit pour réévaluer le rôle de la politique budgétaire dans l'économie mondiale, ainsi que les pratiques qui ont creusé les inégalités.

Troisièmement, pour apporter le soutien nécessaire à une meilleure reconstruction, il faudra une coordination politique beaucoup plus grande entre les économies d'importance systémique ; les réformes de l'architecture économique internationale qui avaient été promises après la crise de 2008-2009 ont malheureusement été rapidement abandonnées face à la résistance de la classe des rentiers.

Quatrièmement, la réticence des autres économies avancées à suivre l'exemple des États-Unis visant à exempter des droits de propriété intellectuelle les vaccins contre la Covid-19 n'est pas seulement un signe inquiétant de l'obstination désordonnée du Nord ; elle est particulièrement coûteuse pour des économies déjà limitées financièrement. Selon une estimation récente, le coût cumulé des retards de vaccination s'élèvera, d'ici 2025, à 2’300 milliards de dollars, les pays en développement devant supporter la majeure partie de ce coût.

Un soutien international renouvelé est nécessaire pour les pays en développement, dont beaucoup sont confrontés à une crise sanitaire de plus en plus grave, alors même qu'ils doivent faire face à un fardeau croissant de la dette et à la perspective d'une décennie perdue.

 

[1] Sur la base des dollars constants et des taux de change de 2015.