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L'économie mondiale est dopée par les mesures de relance américaines, mais les conditions à l’œuvre avant la COVID-19 se sont aggravées

18 mars 2021

De nouvelles estimations révèlent une croissance économique pour 2021 plus forte que prévu, mais des problèmes persistants liés aux inégalités, à l’endettement et à l’insuffisance des investissements menacent l’espoir d'un avenir plus résilient.

Un enseignant reçoit une dose de vaccin contre la COVID-19 le 6 février 2021 à Des Moines, Iowa, États-Unis / © Phil Roeder

Selon un rapport de la CNUCED publié le 18 mars, l'économie mondiale devrait croître de 4,7 % cette année, un taux supérieur à celui annoncé en septembre 2020 (4,3 %). Ceci est imputable en partie à une reprise plus forte aux États-Unis, où une accélération de la vaccination et l’annonce d’un nouveau stimulus fiscal de 1 900 milliards de dollars devraient doper la consommation. 

Mais il manquera encore à l'économie mondiale plus de 10 000 milliards de dollars pour atteindre le niveau qu'elle aurait pu atteindre fin 2021 si la tendance pré-pandémie s’était maintenue (figure 1). Par ailleurs, des inquiétudes demeurent quant à la réalité qui se cache derrière la rhétorique d'un avenir plus résilient.

Le rapport, publié le 18 mars, est intitulé "Out of the frying pan... Into the fire?" et constitue la mise à jour du Rapport sur le commerce et le développement de la CNUCED.

 

Figure 1: (gauche) Niveau de la production mondiale, 2017—2021 (Indice, 2019=100)
(droite) Perte de revenus réel accumulée par rapport au tendance pré-COVID, 2020-2021 (% du PIB)

Figure 1
Source: Calculs du secrétariat de la CNUCED basés sur le Modèle de politique globale des Nations Unies.

 

“V" comme vulnérable

Selon le rapport, ce sont les pays en développement qui subissent le plus durement le choc qui a frappé l'économie mondiale. Leur marge de manœuvre budgétaire est limitée, leur balance des paiements est de plus en plus contraignante et le soutien international dont ils bénéficient est insuffisant. Et bien que toutes les régions devraient connaître un redressement cette année, les risques sanitaires et économiques potentiels pourraient encore entraîner des dérapages.

À plus long terme, le rapport indique que l’atavisme des dogmes économiques, la faiblesse de la coopération multilatérale et la réticence généralisée à s'attaquer aux problèmes d'inégalité, d'endettement et d'insuffisance des investissements - qui se sont tous aggravés avec la COVID-19 - laissent penser que, sans changement de cap, une reprise déséquilibrée, la vulnérabilité à de nouveaux chocs et une insécurité économique persistante deviendront la nouvelle normalité pour beaucoup.

Qualifiant 2020 d’”annus horribilis", le rapport reconnaît que les choses auraient pu être pires.

La combinaison d'une action préventive des banques centrales pour éviter un effondrement financier, de plans d'aide importants rapidement mis en place dans les pays avancés, d'un rebond des flux de capitaux et des prix des produits de base ainsi que de l'accélération sans précédent du développement des vaccins a permis d'éviter qu'une spirale déflationniste encore plus vicieuse ne s'installe.

Toutefois, l'impact de ces actions reste inégal dans et entre ces pays avec des reprises en K. Par rapport à leur PIB, les pays en développement ont connu certaines des plus fortes baisses relatives de revenus des particuliers.

Dans les pays où les niveaux de pauvreté sont déjà élevés et où une grande partie de la main-d'œuvre travaille dans le secteur informel, l'impact immédiat d'un ralentissement, même minime, de l'activité économique peut être dévastateur. La Banque mondiale estime que la pandémie a fait basculer 250 millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté (sur la base d’un revenu inférieur à 3,20 dollars par jour).

Défaillance de la coopération internationale

Malgré l'ampleur des crises sanitaire et économique mondiales, la coopération internationale est loin d'être à la hauteur des enjeux.

Le rapport compare l’annulation de 12 milliards de dollars du service de la dette (pour la période allant de juin 2020 à juin 2021), laquelle concerne 46 pays participant à l'initiative de suspension du service de la dette (ISDS) du G20, aux 80 milliards de dollars payés au titre du service de la dette en 2019 par les 73 pays éligibles à l'ISDS et à plus de 1’000 milliards de dollars pour tous les pays en développement.

De même, le refus des pays avancés de soutenir une dérogation sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) au sein de l'Organisation mondiale du commerce, pour permettre d’accroître la disponibilité des vaccins, révèle que la priorité est donnée aux profits au détriment des personnes dans la lutte contre la pandémie.

La reprise mondiale qui s’est enclenchée au troisième trimestre 2020 devrait se poursuivre en 2021, mais avec de fortes disparités et beaucoup d’imprévisibilité, étant donné les incertitudes épidémiologiques, politiques ainsi que les problèmes de coordination.

Le rapport considère qu'un retour malencontreux à l'austérité après une récession profonde et destructrice constitue le principal risque pour les perspectives globales, en particulier dans le contexte de marchés du travail en lambeaux et de marchés financiers déréglementés dans les économies avancées.

Mais même en l'absence d'un retour immédiat à l'austérité, le rapport note qu'il faudra plus d'un an dans la plupart des pays pour que la production et l'emploi retrouvent leurs niveaux d'avant la COVID-19. A moyen terme, l’emploi, les inégalités de revenus et le bien-être de la population dépendent de l'évolution des réponses politiques.

C’est pourquoi le rapport prévient que la COVID-19 aura probablement des conséquences durables sur l'économie, ainsi que sur la santé, lesquelles nécessiteront un soutien continu de la part des gouvernements.

Les vieilles habitudes ont la vie dure

Le rapport constate que dans le monde entier les stratégies de croissance post-Covid-19 retrouvent leurs caractéristiques d'avant la crise, avec une importance excessive accordée aux exportations dans certaines parties d'Asie de l'Est et d'Europe occidentale, une politique monétaire souple et une consommation alimentée par les actifs aux États-Unis, et une dépendance à l'égard des entrées de capitaux privés et des exportations de matières premières en Afrique et en Amérique latine. 

Le plan de relance de 1 900 milliards de dollars aux États-Unis est un motif d'encouragement. Toutefois, s'il contient d'importants transferts d’argent, il comporte beaucoup moins de dépenses directes en faveur de la consommation et de l'investissement, qui offriraient une voie plus franche vers une augmentation de la demande globale et une transition écologique. L’impact global du paquet annoncé est donc incertain.

Plus troublant encore, selon le rapport, d'autres pays avancés restent très en retrait (figure 2).

Certains signes laissent également penser que la nouvelle administration des États-Unis étendra ses efforts au niveau multilatéral, en approuvant une émission de 500 milliards de dollars de nouveaux droits de tirage spéciaux pour soutenir la provision de liquidités au niveau mondial, à l’occasion de la prochaine réunion des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G20 début avril, décision précédemment bloquée par l'administration Trump.

Il s'agit d'une initiative bienvenue mais, selon le rapport, l'ampleur de la menace de la dette, en particulier pour les pays en développement, ne peut trouver de solution sans une annulation de la dette et sans l'adoption d'un mécanisme efficace de restructuration de celle-ci.

 

Figure 2: Estimation des mesures de relance budgétaire, sélection d'économies avancées, du troisième trimestre 2020 au quatrième trimestre 2021 (% du PIB)

Figure 2

Source: Calculs du secrétariat de la CNUCED, sur la base de sources nationales.
Note: Les estimations budgétaires sont basées sur les dépenses budgétaires et les mesures de stimulation fiscale au-dessus de la ligne. Ces estimations ne comprennent pas les mesures permettant d'accélérer les dépenses ou de reporter les engagements à court terme, c'est-à-dire les paiements d'impôts reportés d'un trimestre ou d'un mois à l'autre.

 

Le rapport conclut que la lutte contre des tendances qui se renforcent mutuellement nécessitera davantage qu'une relance économique ponctuelle. Parmi celles-ci, on relève l'augmentation des inégalités, l'aggravation du surendettement, la déconnexion des marchés financiers de l’économie réelle et le pouvoir croissant des grandes entreprises peu enclines à réinvestir leurs bénéfices dans le renforcement des capacités productives.

Le rapport appelle à une réécriture plus globale des règles du jeu économique si l'on veut éviter de voir se répéter les erreurs de la crise financière de 2009. L’objectif est de se donner les moyens de voir émerger une économie mondiale inclusive, durable et résiliente d'ici 2030.