Oublier la titrisation, soutenir les banques publiques est ce qu’il y a de mieux pour le développement durable, selon un rapport de l’ONU
Le secteur bancaire public doit reprendre le rôle plus important qui était le sien si l’on veut réussir à transformer le paysage environnemental et économique d’ici à 2030, estime la CNUCED dans le Rapport sur le commerce et le développement 2019, publié aujourd’hui.
Les tentatives visant à démultiplier le financement privé en faisant transiter l’argent public par les géants mondiaux du secteur bancaire ou le système bancaire parallèle risquent davantage de créer de nouveaux coûts et de nouvelles vulnérabilités que de financer l’investissement dans une énergie, des emplois et un développement plus propres et plus écologiques.
Le rapport invite le secteur bancaire à modifier sa façon de faire, en renonçant aux marchés financiarisés actuels, qui ont régulièrement privilégié les activités spéculatives au détriment des secteurs productifs. La CNUCED fait valoir que c’est le secteur bancaire public qui fait le gros du travail et qu’il doit donc être mieux soutenu à l’avenir.
Les banques publiques sont conçues pour être différentes des banques privées − pour s’occuper de projets à long terme dont les avantages ne se limitent pas à des retombées purement commerciales, et de secteurs et de régions négligés par le financement privé. Et à rebours de l’idéologie dominante, les banques publiques de nombreux pays jouent déjà ce rôle, en particulier dans les pays en développement, où des banques et des fonds gérés par le Sud, et tournés vers le Sud ont apporté des centaines de milliards de dollars de prêts au développement.
Il ressort cependant des travaux d’analyse de la CNUCED que les banques publiques et particulièrement les banques de développement ne sont pas suffisamment capitalisées pour monter en puissance dans ce rôle indispensable. Certaines banques ont une activité très soutenue : l’encours des prêts de la Banque chinoise de développement représente ainsi plus de 13,4 % du PIB chinois et celui de la Banque coréenne de développement 10,5 % du PIB coréen, mais d’autres banques publiques, dans des pays comme l’Inde, la Malaisie, le Mexique, la Fédération de Russie et l’Afrique du Sud, affichent des portefeuilles de prêts anémiques qui ne représentent que 1 à 2 % du PIB de ces pays. C’est trop peu dans l’optique des objectifs de développement durable ou d’une nouvelle donne écologique mondiale.
Une autre contrainte est le faible ratio prêts/fonds propres de nombreuses banques. Le problème concerne particulièrement les banques de développement qui lèvent des ressources sur les marchés de capitaux nationaux et internationaux. Comme les fonds propres des banques sont fixes, la taille de leurs prêts est limitée par la façon dont les marchés perçoivent leur solvabilité, qui dépend en grande partie de leur cote de crédit. L’effort des banques pour améliorer leur cote rogne inutilement leur capacité de prêt, à hauteur de 100 milliards de dollars, d’après des estimations provenant des agences de notation elles-mêmes.
Le rapport fait valoir que des politiques publiques plus favorables sont indispensables pour tirer parti des débouchés positifs que le secteur bancaire public crée déjà. Les mesures ci-après sont indiquées :
- Libérer les banques centrales du ciblage étroit de la stabilité des prix et de l’inflation, afin qu’elles puissent retrouver le rôle plus audacieux qui était historiquement le leur et soutenir une nouvelle donne écologique mondiale. Il faudrait prévoir à ce titre des mesures de création de crédit pour des activités plus écologiques et d’orientation du crédit vers ces activités, y compris l’émission d’obligations vertes et, si nécessaire, les banques centrales devraient jouer un rôle d’acheteur de dernier ressort ;
- Augmenter les fonds propres des banques de développement et d’autres banques publiques afin qu’elles puissent prêter bien davantage, y compris par le financement direct, et en permettant aux banques de réinvestir leurs bénéfices ;
- Orienter les ressources des fonds souverains, dont les actifs sous mandat de gestion sont estimés à 7 900 milliards de dollars, vers les besoins de développement, y compris par le soutien des banques de développement ;
- Veiller à ce que le cadre réglementaire du secteur bancaire tienne mieux compte des banques publiques et en particulier des banques de développement ; ces dernières devraient être laissées en dehors du cadre de Bâle ou faire l’objet d’un traitement spécial eu égard à leurs caractéristiques et leurs missions propres ;
- Une révision par les États de leurs propres critères imposant à leurs banques d’atteindre des cotes de crédit très élevées ; un examen extérieur, effectué par un organisme international crédible, des institutions de financement du développement, qui réponde à des modalités que l’on ne peut attendre des agences de notation ;
- Lorsque certains mécanismes de création et d’orientation du crédit « vert » (dont l’assouplissement quantitatif) ne peuvent être envisagés pour des pays en développement (en raison du risque de crises de change et de balance des paiements), les banques qui les utilisent dans des pays avancés pourraient en élargir la portée pour soutenir des investissements écologiques dans les pays en développement ;
- Le secteur bancaire public devrait être soutenu par une mission claire de l’État et des indicateurs de résultat et des mécanismes de transparence qui valorisent les retombées sociales et les effets sur le développement à long terme, et pas seulement les résultats financiers ;
- Les banques publiques ne devraient pas être détournées de leur vocation. C’est un des problèmes posés par certaines des stratégies de montée en puissance promues actuellement, au nombre desquelles la « cascade » de conditions et de garanties associée aux prêts de la Banque mondiale, et le retour de produits de titrisation comme les titres de créance adossés à des prêts.