Écrit par : Alexandre Larouche-Maltais, Article n° 88 [Lettre d'information de la CNUCED sur la facilitation des transports et du commerce N°94 - Deuxième trimestre 2022]
Du 21 avril au 18 mai 2021, la Conférence des Nations Unies pour le commerce et le développement (CNUCED) a organisé, en collaboration avec la Commission de la Communauté économique des États d'Afrique centrale (CEEAC) et grâce à l'appui financier de la Banque africaine de développement (BAD), une série de webinaires interactifs dédiés aux enjeux du transit des marchandises au bénéfice des pays francophones d'Afrique centrale.
Quatorze représentants nationaux, issus des secteurs public et privé de sept pays de la zone CEEAC ont contribué aux échanges avec des experts invités de la CNUCED, de la CEEAC et de la BAD, l'Organisation mondiale des douanes (OMD) et de la Commission économique pour l'Europe (CEE-ONU). Ce texte reflète les travaux engagés afin d'identifier les enjeux de la facilitation du transit en Afrique centrale.
Les coûts et les délais pour le transit des marchandises ont une incidence significative sur la compétitivité des pays d’Afrique centrale. Des études de la Banque mondiale estiment que chaque jour en transit supplémentaire coûte en moyenne 0,8% de la valeur totale de la marchandise transportée, et que l’enclavement d’un pays augmente le coût du fret de l’ordre de 50% pour les pays sans littoral. Ainsi, plus le temps de transit s’allonge, plus les frais d’inventaires s’alourdissent. Pour certains pays enclavés d’Afrique centrale, les coûts du transport représentent 35% de la valeur des exportations, et plus de 45% de de la valeur des importations.
Pour le transit routière les coûts variables liés au carburant, l’usure des pneus, l’entretien des camions et les paiements informels, peuvent être plus de deux fois élevés sur le corridor Ngaoundéré–Moundou qu’en Afrique de l’Est, entre Mombasa et Kampala, par exemple. Sur le corridor Douala-Bangui, ce sont les coûts fixes (dépenses de personnel, les droits de licence, les dépenses administratives, les coûts d’assurance, de communication, de sécurité) qui représentent plus du double de ceux en Afrique de l’Ouest, entre Tema et Bamako notamment. En général, les coûts du transport en Afrique centrale demeurent élevés, ce qui affecte le prix des opérations de transit et la compétitivité internationale des pays.
Pourquoi les coûts et délais pour les opérations de transit en Afrique centrale sont-ils si élevés ?
Certains facteurs exogènes – c’est-à-dire hors du contrôle des autorités – expliquent en partie les coûts et délais élevés pour les opérations de transit en Afrique centrale. L’enclavement géographique, par exemple, affecte de manière significative le transit international des marchandises. Si certains pays ont un accès facile à la mer et aux lignes de transport par voie maritime, comme le Gabon et le Cameroun, d’autres pays, comme le Burundi et la Centrafrique sont entièrement enclavés dans le continent et dépendent des réseaux de transport terrestres et de leurs voisins pour accéder à la mer pour acheminer ou recevoir les marchandises.
Selon les routes empruntées, les marchandises en provenance ou à destination du Tchad et du Rwanda peuvent devoir traverser deux pays avant d’être transbordées au port. Bien entendu, le nombre de kilomètres à parcourir jusqu’au port le plus proche et de frontières internationales à franchir entrainent des coûts et délais supplémentaires pour les commerçants.
L’hydrographie et le climat ont aussi un impact sur les coûts du transit. Par exemple, la rivière Oubangui, principal affluent de la rive droite du fleuve Congo permettant de joindre Bangui depuis Brazzaville et Kinshasa, n’est plus navigable que six mois par an. La dégradation des conditions de navigation due au déficit hydrologique force les exportateurs centrafricains à trouver des alternatives routières et ferroviaires plus longues et plus chères pour le transit des marchandises. Les changements climatiques pourraient bien réduire encore davantage la saison de navigation sur le fleuve dans les décennies à venir.
L’instabilité politique et les conflits armés affectent également le transit des marchandises en Afrique centrale. La situation sécuritaire fragile en Centrafrique, par exemple, ne permet pas d’assurer une fluidité et une rapidité du transit des marchandises. La menace posée par le mouvement insurrectionnel Boko Haram a affecté négativement le développement commercial et le transport des marchandises dans les zones touchées. Les groupes armés actifs dans certaines parties de la sous-région, s’attaquent régulièrement aux camions transportant des marchandises sur les axes routiers.
3 défis à relever pour les pays de l’Afrique centrale
D’autres facteurs, ceux-là endogènes et donc liés aux politiques publiques, contraignent encore davantage la facilitation du transit en Afrique centrale. Ces obstacles peuvent être regroupés sous trois défis majeurs à relever pour les pays de la sous-région.
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Étendre les infrastructures technologiques
Les infrastructures technologiques peuvent grandement accélérer le transit des marchandises et en réduire le coût, mais la défaillance du réseau Internet, y compris l’accès et la qualité de la connexion, constitue un enjeu majeur dans toute la sous-région.
Une plus grande démocratisation de l’accès à Internet, surtout dans les régions éloignées ou isolées, permettrait également aux opérateurs économiques de profiter davantage des efforts de transparence des pays d’Afrique centrale. L’Accord sur la facilitation des échanges (AFE) de l’OMC prévoit que chaque pays devra mettre à disposition sur Internet une description de ses procédures de transit ainsi que les formulaires et documents requis pour le transit par son territoire.
Certains pays, comme le Rwanda, ont décidé d’aller plus loin avec la publication en ligne des renseignements sur les règlementations, procédures et documents de transit grâce à la mise sur pied d’un Portail d’information commerciale, grâce au soutien technique de la CNUCED. Pour en faire profiter pleinement les opérateurs économiques en leur permettant d’accéder aux renseignements en ligne et télécharger les documents et formulaires pour les opérations de transit, l’accès à Internet doit être encore plus étendu et garanti.
La sous-utilisation, par les autorités douanières et les autres organismes présents aux frontières, des outils des technologies de l'information et de la communication constitue un obstacle supplémentaire à la facilitation du transit en Afrique centrale. Plusieurs agences frontalières n’utilisent pas ces outils pour accélérer les procédures de dédouanement et renforcer la sécurité. Au Burundi par exemple, certains bureaux de douanes ne sont pas informatisés et les agents n’ont donc pas accès à Internet dans le cadre de leurs fonctions. De plus, elles ne sont toujours pas interconnectées au niveau national. Au Gabon, avant la transition vers SYDONIA World en cours, les différents bureaux de douane étaient dotés de serveurs indépendants et n’étaient pas connectés. La mise en place de SYDONIA World permet la centralisation des serveurs et l’interconnexion des bureaux de douanes.
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Combler le manque d’infrastructures physiques
L’Afrique centrale souffre cruellement d’un manque d’infrastructures physiques qu’elle doit combler. Selon le Forum économique mondial, la qualité des infrastructures routières dans la sous-région est déficiente et inférieure par rapport au reste du continent. La RDC, par exemple, se classe au 138e rang mondial (sur un total de 141 pays) pour la qualité de son réseau routier, tandis que le Tchad arrive dernier au classement.
Les routes sont généralement peu bitumées et souffrent d’un manque d’entretien, notamment au Cameroun, pourtant un pays de transit majeur dans la sous-région. À peine 45% du tronçon de route entre Douala et N’Djaména est considéré «dans un état passable ou en bonne condition.» En 2019, le Comité régional de facilitation des échanges en Afrique centrale relevait que le non-respect des normes relatives à la charge à l’essieu par les transporteurs contribue aussi à détériorer les infrastructures routières.
Les opérateurs économiques d’Afrique centrale se plaignent du mauvais état des routes, qui peut entrainer une usure prématurée ou accélérée des véhicules routiers, multiplier les pannes, et rendre certains tronçons dangereux pour la conduite.
L’absence de ponts sur certaines rivières constituent également un obstacle au transit international des marchandises. Par exemple, la construction du projet de pont-rail entre Brazzaville et Kinshasa faciliterait grandement le transit vers/en provenance du port de Pointe-Noire et contribuerait au renforcement de corridors régionaux de transit, en éliminant l’acheminement des marchandises par barges fluviales. Les études montrent que la construction de ce pont réduirait significativement les coûts de transport de marchandises, qui doivent jusqu’à présent traverser le fleuve par barges.
Les réseaux ferroviaires sont disjoints et rares et mériteraient s’être étendu à de nouvelles régions. Par exemple, le rail ne couvre pas les corridors de transit régionaux majeurs, notamment ceux permettant de désenclaver la Centrafrique et le Tchad. Sur l’axe reliant Douala-Bangui, le rail couvre 884 km, et donc les marchandises doivent être transportée par route sur 566 km, tandis que sur l’axe Douala-N'Djaména, le rail ne permet de franchir que 556 km sur les 1830 km du corridor. Des investissements majeurs sont nécessaires pour la construction de nouveaux tronçons de routes, des ports, des plateformes logistiques et des postes frontaliers en Afrique centrale.
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Renforcer la coordination nationale et la coopération régionale
La coordination nationale et la collaboration régionale en matière de transit fait face à des difficultés en Afrique centrale. D’abord, le manque de coordination au niveau national entraine des blocages de marchandises en transit le longue des routes ainsi que la multiplication des contrôles de la part des différentes agences. Dans les ports, les marchandises doivent souvent être transbordées en raison du refus, d’une part, des lignes maritimes d’envoyer les conteneurs à destination des pays enclavés, et, d’autre part, des commerçants à payer les surcharges, ce qui peut accélérer la détérioration des marchandises et faire augmenter les coûts du transit. En plus, les systèmes de permis pour le trafic routier de fret et les accords d’attribution du fret mis en place par certains pays entravent aussi la fluidité du transit régional.
Qui plus est, la multiplicité d’appartenance des pays d’Afrique centrale aux différentes communautés économiques régionales (CER) n’est pas de nature à faciliter la coopération au sein de la sous-région. Bien que tous les pays d’Afrique centrale soient membres de la CEEAC, certains ont joint la CEMAC (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad), alors que le Rwanda et le Burundi font partie de la Communauté de l'Afrique de l'Est (EAC), ainsi que du COMESA, tout comme la RDC. L’Angola et la RDC sont également membres de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC).
La fragmentation au niveau du contenu des actions due à la multiplicité d’appartenance aux CER constitue un défi supplémentaire à la facilitation du transit. En effet, la multiplication des initiatives sans harmonisation et coordination ne permet pas la construction d’un système régional de transit des marchandises performant.
En 2018, les pays d’Afrique centrale ont créé un Comité régional de la facilitation des échanges (CRFÉ), sous les auspices de la CEEAC et de la CEMAC. Il vise «à créer un cadre de concertation entre les parties prenantes» au niveau régional afin de coordonner les actions pour la mise en œuvre de l’AFE, y compris son Article 11 sur la liberté du transit.
À l’issue de sa deuxième réunion, le CRFÉ avait attiré l’attention sur les problématiques de transport dans la sous-région, y compris les coûts élevés des services de transport, et recommandé aux États-membres de «renforcer le dispositif de transit des marchandises,» le CRFÉ pourrait jouer un plus grand rôle dans la coordination régionale des initiatives de facilitation du transit. Les coordonnateurs nationaux du transit, désignés en vertu de l’Article 11.17 de l’AFE, peuvent également contribuer à renforcer la coopération avec les pays voisins en veillant à répondre aux demandes relatives au bon fonctionnement des opérations de transit.
Dans le cadre d’un projet régional sur la facilitation des échanges mis en œuvre conjointement par la Commission de la CEEAC, la CNUCED offre une assistance technique et du renforcement des capacités pour les CNFÉ des pays d’Afrique centrale, y compris en matière de transit des marchandises. La CNUCED fournit également des services de conseils pour la mise en œuvre de l’Article 11 de l’AFE sur la liberté de transit y compris la conception de termes de référence pour les coordonnateurs nationaux du transit.
Pour plus d’informations sur le projet de la CNUCED au bénéfice des CNFÉ des pays d’Afrique centrale, cliquez ici.
Contacter l’auteur de cet article : Alexandre Larouche-Maltais | Economic Affairs Officer, UNCTAD Trade Facilitation Section | alexandre.larouche-maltais@unctad.org