Parlement Européen
C'est dans les pays les moins avancés, dont 33 sont en Afrique, que se joueront, se réussiront ou échoueront les ODD.
Cet agenda universel qu'est l'Agenda 2030 est le nôtre, celui des africains et de la communauté internationale dans son ensemble au sein de laquelle l'UE est un partenaire exceptionnellement proche, précieux et engagé de longue date.
La semaine prochaine à Abidjan, l'Exécutif européen scellera de nouveaux engagements pour matérialiser ce partenariat. En décembre à Haiti, c'est sa branche parlementaire qui travaillera et poursuivra son dialogue politique et technique.
A Genève, New York et Bruxelles, nous connaissons les chiffres. La CNUCED qui est en quelque sorte l'OCDE des pays les plus pauvres, possède l'une des plus importantes banque de données à caractère économique et social concernant ces pays les moins avancés, qu'il s'agisse d'investissement, de dépendance aux produits de base, de capacité régulatoire, d'indicateurs de développement dans la plupart des domaines couverts par les ODD.
Elles ont été particulièrement utiles pour construire les indicateurs dans le processus de construction des ODD. Nous les étendons, les actualisons, les corrélons, car ces données sont particulièrement utiles autant pour les acteurs et partenaires africains bénéficiaires que pour les partenaires européens.
Quelques grandes proportions nous donnent la mesure de l'enjeu :
Sur le continent africain,
- 49% de la population vit dans l'extrême pauvreté
- 40% n'a pas accès à l'eau potable
- 75% n'a pas accès à l'électricité
- 60% dépendent de l'agriculture pour leur subsistance
Et ce n'est pas l'accroissement de la population qui avoisinera les 2, 5 milliards en 2050 soit une multiplication par 10 de la population en un siècle pas plus que l'augmentation de la pauvreté et des inégalités dans chacun de ces pays, qui amélioreront à la fois les perspectives offertes aux centaines de millions de jeunes africains et africaines et l'équilibre du monde en général, dans les interactions et interdépendances qui le caractérisent en ce début de 21è siècle.
En dépit des insuffisances d'un tel indicateur pour appréhender la réalité économique d'un pays, nous devons toutefois constater que dans un contexte de stagnation mondiale, la croissance économique annuelle des pays africains a tourné autour des 5% depuis 2004. Ce n'est pas rien. Mais les investissements étrangers y sont dramatiquement faibles et en lente mais certaine diminution au vu des prix des produits de base : on évalue ces investissements à 59 milliards de dollars ce qui représente en moyenne 3,3% des flux globaux !
Ce n'est évidemment pas à la hauteur de ce qui devrait être consacré pour un développement effectif et soutenable dans ces pays.
De l'ensemble des travaux, études, programmes d'assistance technique construits sur mesure à la demande des pays et selon leurs besoins spécifiques (et ce dans des domaines aussi concrets que les douanes, la régulation de la concurrence, l'(e)commerce, la gestion des ports, l'innovation et la technologie, les chaines de valeur régionales, le développement des PME, et plus récemment le lien entre commerce et changement climatique, pour n'en citer que quelques-uns) il ressort une constante et une certitude : le seul modèle viable de réduction de la pauvreté est le renforcement des capacités productives, l'innovation, la transformation structurelle des économies.
Cela signifie à la fois la modernisation technologique des secteurs et activités économiques déjà existants et, en parallèle, un investissement massif dans les secteurs à plus forte valeur ajoutée. C'est aussi le soutien à l'innovation.
L'innovation et la créativité ne peuvent se limiter, comme c'est souvent le cas dans les PMA à l'imitation et la reproduction de développements technologiques tels qu'intervenus dans les pays développés. Nous savons trop bien de ce côté de la Méditerranée combien l'hyperglobalisation insuffisamment régulée, le consumérisme comme pierre angulaire jusqu'à l'obsolescence programmée ont épuisé nos ressources.
L'économie circulaire est depuis des années un vecteur important de l'économie en Inde et en Chine. La non prise en compte des externalités de notre modèle de développement sont à l'origine d'une dette cachée et d'inégalités croissantes qu'il nous faut nous aussi prendre en compte dans un développement plus soutenable et inclusif.
A la faiblesse économique des PMA africains s'ajoutent quelques obstacles majeurs dont les déficiences du secteur énergétique ne sont pas les moindres. Le Rapport 2017 sur les pays les moins avancés qui est publié aujourd'hui même montre que les PMA sont en train de prendre un retard considérable par rapport au reste du monde en développement pour ce qui est de l'accès des ménages et des entreprises à l'énergie.
Pour atteindre l'ODD 7 à savoir l'accès universel à l'énergie d'ici à 2030, ces pays devraient augmenter leur taux d'électrification de 350% par an !
Cet accès doit également répondre aux besoins des producteurs, aux attentes des investisseurs, en offrant un approvisionnement adéquat, sans coupures, fiable, abordable.
Cette relation a deux sens entre utilisation productive de l'énergie et développement économique est très faible dans les PMA. Plus de 40% des entreprises sont freinées dans leurs activités en raison de cet approvisionnement inadéquat et chaque mois, les entreprises subissent en moyenne 10 coupures de courant de plus ou moins 5 heures qui leur coutent 7% de leur chiffre d'affaire. On estime à 6% la perte de PIB que cela représente.
Les énergies renouvelables à une échelle plus collective, capables d'alimenter les réseaux et mini-réseaux, pourraient avoir un effet révolutionnaire dans le bouquet énergétique des PMA et particulièrement dans les zones rurales où 82% des habitants n'ont pas accès à l'électricité. Cette électrification pourrait également contribuer à limiter l'exode rural et tout ce qu'il entraine dans les grandes mégapoles que sont les capitales africaines. Notons d'ailleurs, comme ce fut rappelé la semaine passée à Bonn à la COP23, que plusieurs de ces pays ont souscrit un engagement en vue de 100% de renouvelables d'ici 2050.
Les investisseurs privés n'ont guère d'appétit pour les investissements dans les infrastructures électriques des PMA à cause des couts élevés, de la durée des cycles de projets et de la lenteur de retour sur investissements. Le cout pour un accès universel à l'énergie moderne d'ici 2030 est évalué à 12 et 40 milliards de dollars par an. Et pour que l'énergie devienne un vecteur de transformation, les dépenses seront encore supérieures.
Le montant total de l'aide publique au développement affecté au secteur de l'énergie s'élève seulement à 3 milliards de dollars par an. Les gouvernements pourraient lever des capitaux en développant leur marché obligataire intérieur ou en faisant appel à de nouvelles sources de financement telles que les investisseurs à impact, les fonds d'infrastructure et dans certains PMA, à leur diaspora. Il y a là un rôle pivot pour l'UE, pour les banques nationales et régionales, si l'on veut éviter le surendettement de ces pays dont les capacités d'emprunt sont très limitées.
Voilà donc un second obstacle qui s'ajoute à cette vulnérabilité des PMA : la question de la dette et du financement du développement.
Sans entrer dans le débat sur la restructuration des dettes de ces pays, rien que le management correct de leur dette, tel qu'y prépare le programme DMFAS mis en en œuvre dans plus de 60 PMA par la CNUCED et financé par l'UE, est un soutien important. Le financement correct du développement et les montants consacrés à l'aide internationale au développement tels que le prévoient une série d'accords et d'engagements tel les 0,7% du PIB qui devraient normalement y être consacré, reste une priorité majeure. La lutte contre l'évasion fiscale, l'exploitation illicite des ressources naturelles, la corruption, la transparence et le rapatriement des flux illicites de capitaux constituent également, en ces temps de Panama et Paradise papers, une autre grande priorité en matière de financement des capacités productives.
Enfin, si les infrastructures énergétiques font défaut, elles ne sont pas les seules. Les infrastructures télécom et la connectivité à internet sont elles aussi une clé majeure du développement, en particulier pour les PME et le développement local, décentralisé. L'expertise de la CNUCED en matière d'ecommerce comme levier de développement en Afrique est solide. Elle se concentre autant sur la technologie que sur la gouvernance que requiert ce type d'outil : cadre légal, taxation, protection de la vie privée, propriété intellectuelle, cybercriminalité, sécurisation des paiements électroniques.
Enfin, et pour conclure, dans la tâche d'assistance que fournit la CNUCED aux PMA africains ainsi qu'aux pays en transition (y compris pour ce qui concerne les avantages et désavantages de passer d'un statut à l'autre, ce qui requiert également une grande attention) avec le soutien et la coopération je l'espère grandissante de l'UE, l'intégration régionale est et reste une autre grande priorité. C'est à ce niveau que les PME doivent pouvoir entrer dans des chaines de valeur. C'est le premier palier de leur développement. C'est en outre, en matière de commerce et d'emprunte carbone, une approche beaucoup plus conforme aux engagements pris en matière climatique.