UNCTAD15 World Leaders Summit Dialogue II: Inequality - Is the COVID-19 crisis really a game-changer?
Madame la Première Ministre, chère Mia,
Mme la Secrétaire générale du CARICOM,
Mme la Haute Commissaire aux Droits de l’Homme des Nations Unies, chère Michelle,
Mme la Directrice exécutive d’Oxfam international,
M. le Président de la Banque d’investissement européenne,
Excellences,
Chers modérateurs,
Mesdames et Messieurs,
Réduire les inégalités entre les classes, les races ou les sexes est une aspiration que la plupart des sociétés ont embrassée.
Des personnes ou des leaders emblématiques, parfois au péril de leur vie ou de leur liberté les ont fait progresser.
Mais de profondes inégalités subsistent.
La mondialisation s'est accélérée à la fin du siècle dernier. Elle était censée contribuer à la prospérité économique dans le monde entier. Les opportunités et privilèges dont bénéficiaient les populations du Nord devaient pouvoir bénéficier à celles du Sud. Elle a fait une part du chemin, mais des inégalités criantes subsistent.
La révolution numérique nous offre la possibilité d'être plus connectés et par là, la promesse d’être plus inclusifs. Mais aux inégalités préexistantes sont venues se greffer de nouvelles fractures, numériques celles-là.
Les inégalités ne se sont pas contentées d’être omniprésentes et multiformes, elles sont aussi tenaces, certaines nourries par des stéréotypes qui ont la peau dure.
Il s’ensuit un fort sentiment d'injustice qui s’est traduit un peu partout dans le monde ces dernières années par de nouvelles formes d’expression interconnectées : "Black lives matter", "MeToo", ou les "Fridays for Future" de la jeune « génération climat » qui interpellent les politiques publiques.
D’autres mouvements capitalisent voire instrumentalisent les colères, l’anxiété et la peur de l’avenir.
Dans les deux cas, nos institutions, notre gouvernance sont mises à l’épreuve.
Comment se fait-il que nous ayons toléré pendant tout ce temps les inégalités que nous n’avons de cesse de dénoncer.
La crise du Covid-19 peut-elle enfin nous réveiller et être le « game changer » dont nous avons besoin ?
C'est ce dont nous voulons discuter dans ce Dialogue.
Considérons d'abord les principales inégalités qui ont d’ailleurs été évoquées dans la session d’ouverture et le dialogue d’hier.
L'accès aux vaccins nécessaire à la reprise reste très inégal. Jusqu'à présent, seuls 2% de la population des pays les moins avancés ont été vaccinés contre le COVID-19 et cet état de fait nous menace tous, comme l’évoquait le Dr. Thedros Ghebreyesus ainsi que Mme Ngozi Okonjo-Iweala, la Directrice de l’OMC. Cette dernière a mis sur sa table la possible renonciation aux droits de propriété intellectuelle pour la production de vaccins.
La discussion est en cours. Mais son impact positif sera limité si on n’aborde pas aussi et simultanément les capacités de production qui sont aujourd’hui concentrées dans les pays du G20, les transferts de technologie que cela implique et les barrières commerciales à faire tomber pour les produits essentiels.
Les pays développés et les pays en développement sont désormais sur des voies de redressement divergentes. Mme Grynspan en parlait hier. C’est évidemment à cause de l’asymétrie en matière de ressources et de capacités budgétaires et fiscales.
Selon le rapport des Nations unies sur le financement du développement durable, les PMA en tant que groupe n’ont pu mobiliser qu’un montant équivalent à 2,6 % de leur PIB en termes de soutien fiscal direct et indirect. Dans les pays développés, la part du PIB qui y est consacrée est de 15,8 % du PIB, soit 7 fois plus.
Il est clair que ces trajectoires divergentes si elles ne sont pas urgemment corrigées laisseront des centaines de millions de personnes sur le carreau.
En 2020, la pandémie a fait retomber dans la pauvreté environ 120 millions de personnes dans le monde.
Selon nos estimations pour les PMA, au moins 32 millions sont passés sous le seuil de pauvreté. Il s'agit en grande partie de ceux qui ont perdu leur emploi, leur activité, leur revenu et ne bénéficient d’aucune protection sociale.
A l'autre extrémité de la répartition des revenus, la richesse de nombreux riches a considérablement augmenté.
Les investissements ont par ailleurs commencé à se redresser. C’est positif, mais ce qui est préoccupant, c’est une fois encore l’asymétrie : plus de 80 % de la valeur des investissements de reprise se trouvent dans les pays développés et ceux que nécessitent le développement durable et l’adaptation climatique font cruellement défaut.
Le soutien aux entreprises et des conditions de travail décentes pour ceux qui y travaillent, et cela dans des chaines de valeur réorganisées, plus régionales et plus redistributives s’imposent. Le renforcement des marchés régionaux est en effet une autre voie prometteuse et moyennant de bonnes politiques, l’accord de libre-échange continental africain pour ne citer que celui-là peut offrir de nombreuses opportunités pour les 1,2 milliard de personnes qui vivent sur ce continent.
Enfin, comme lors de nombreuses crises précédentes, les femmes et les filles ont payé un prix bien plus élevé.
Désavantagées de longue date dans les écosystèmes économiques, sociaux, financiers et réglementaires, la crise les a frappées de manière disproportionnée.
Le taux d'emploi des femmes a baissé davantage que celui des hommes, et de nombreuses femmes, confrontées à des charges de plus en plus lourdes, ont complètement quitté le marché du travail. Celles qui y sont restées ont été bien plus exposées et mobilisées dans le secteur des soins ou de la distribution.
Et cette injustice commence tôt : bien plus de filles que de garçons ont été retirées de l'école pour s'occuper de tâches domestiques. Cette dynamique aura des conséquences désastreuses à long terme.
En outre, pour garantir des résultats plus inclusifs, les femmes doivent être associées à la conception des politiques et à la mise en œuvre des plans de relance au niveau national : leur sous-représentation dans ces processus décisionnels est aussi injuste qu’absurde.
La vie en ligne que nous connaissons depuis bientôt 2 ans nous a été particulièrement précieuse et a ouvert de nouvelles perspectives, mais elle a aussi révélé de façon spectaculaire la fracture numérique entre régions, pays, communautés, groupes de population. Le chantier en vue d’un usage productif des technologies et des données numériques est immense.
Les données sont une nouvelle ressource, mais elles sont aussi très inégalement collectées, corrélées, transformées en valeur économique et en développement.
Le monde de la tech n’attendra pas : développer les infrastructures, les compétences numériques, les cadres juridiques et la régulation sont autant d’urgences pour que l’économie numérique serve le développement et non plus seulement les intérêts de grands groupes privés.
Enfin, les pays en développement sont en première ligne dans notre lutte contre le changement climatique.
Ils en expérimentent les effets de plus en plus rapidement.
Les panelistes d’hier, chefs d’Etats particulièrement exposés, n’ont eu de cesse de le rappeler.
Car en effet, si ces impacts sont ressentis partout dans le monde, les régions tropicales et subtropicales en sont l’épicentre. En 2020, les Caraïbes ont connu les tempêtes les plus violentes jamais enregistrées. La hausse du niveau des mers, les sécheresses et les pénuries d'eau douce poussent des communautés entières à se déplacer et menacent la sécurité alimentaire.
Et cela alors même que nombre de ces pays figurent parmi les moins responsables des émissions de CO2.
Comme ce fut rappelé hier, les petits États insulaires en développement sont responsables de moins de 1 % des émissions, mais ils sont parmi les plus vulnérables.
Ils ne sont cependant pas les seuls à payer un lourd tribut aux choix du passé. Encore une asymétrie qu’il va nous falloir changer, non seulement pour les générations futures, mais aussi pour celles d’aujourd’hui.
Pour promouvoir une croissance plus verte et changer les indicateurs qui la mesurent, les pays doivent adapter leurs méthodes de production, investir dans des secteurs plus respectueux de l'environnement et rendre leurs infrastructures résistantes au changement climatique.
Il en va de même pour la transition énergétique. Au-delà des renouvelables, il est clair que la révolution technologique à l’œuvre exigera une production accrue de matières premières comme le cobalt, le lithium ou les terres rares. Mais il est tout aussi clair que les préoccupations environnementales et sociales vont devoir être prises en compte tout au long de la chaîne de valeur de ces matières premières.
Alors, Excellences, chers panelistes, chers amis, avons-nous atteint un point de rupture à partir duquel construire différemment ?
Hier, notre Secrétaire général, M. Guterres, a souligné la nécessité urgente d'agir sur le surendettement, tant dans les pays à faible revenu que dans les pays à revenu intermédiaire. Cela nécessite un soutien en liquidités, notamment une réaffectation des DTS inutilisés aux pays vulnérables. L'initiative de suspension du service de la dette du G20 est la bienvenue, mais ses critères d'éligibilité et son calendrier devraient être moins limités. Mais même adaptée, cette suspension est insuffisante et nous avons besoin d'un allègement effectif de la dette, de financements privés et de politiques efficaces de redistribution. Sans cela, les inégalités subsisteront.
Cela n’ira pas tout seul, tant se font entendre ceux qui ont intérêt au statut quo, comme le disait justement Mme Mottley hier.
Mais aucune de ces politiques n’a de chance de donner des résultats si chacune d’elles est menée isolément ou au seul échelon national.
Plus que jamais, l’interconnexion des domaines d’action autant que les interdépendances du monde doivent guider notre feuille de route.
Vous ne serez donc pas étonnés que la CNUCED appelle à un multilatéralisme plus inclusif et en réseau, qui donne une voix adéquate au Sud et à sa diversité.
Telles sont les réflexions que je voulais partager avec vous pour encadrer la discussion que je me réjouis de suivre avec le plus grand intérêt.